Lee Bertin & Laure Gasme

(…) Alors ? Cette soirée du 8 septembre, esquissée dans un article précédent, c’était comment ? D’un point de vue strictement sexuel, le plaisir n’est pas plus grand (et honnêtement, tant avant que pendant j’ai eu peur de tomber dans l’équation : plus la femme est désirable, plus l’excitation est grande et plus le risque de jouir trop vite, trop peu, trop mal est grand). Les mensurations parfaites de la dame ne changent pas la donne, une 75-85-95 peut –et, vraie bonne nouvelle, c’est tant mieux ! – nous emmener aussi loin qu’une 90-60-90. Par contre, intellectuellement, cela reste très longtemps après hautement jouissif. Cela a duré si peu de temps, et pourtant cela m’habite tellement encore aujourd’hui ! Cela m’habite, ma bite…Une sensation de joie, de réussite, j’ai couché avec une déesse. Oui, au niveau du souvenir, c’est ça, elle était complètement à moi ! Elle a été et sera à quelques autres, c’est sûr, mais pas tant que ça, ce que j’ai vécu est donc rare. Et ce qui est rare est cher…

Autre satisfaction, le sentiment d’être délivré d’un poids. C’est con, on ne s’en rend compte qu’après, mais toute sa vie un mec comme moi rêve secrètement de concrétiser avec la plus belle femme imaginable. La mienne était carrément au-delà, alors, voilà, c’est fait, j’ai la médaille d’or, je suis champion olympique à tout jamais !

Je me sens libéré d’un poids que je ne soupçonnais pas. Cette expérience me rend irrémédiablement plus léger, comme si j’avais atteint un objectif que ma conscience n’avait pas inscrit, mais mon inconscient certainement.

Oh, il s’en est passé des choses dans ma tête (ailleurs aussi, d’ailleurs, mais finalement ce fut assez accessoire). Pour tout raconter, le mieux est de reprendre ce 8 septembre en fin d’après-midi, lorsque je sors du cinéma.

« Carnets de voyage » est un excellent film, tellement bon que j’ai pu le regarder sans trop penser au grand rendez-vous de ce soir. En quittant la salle, je me rends compte que j’ai juste le temps de manger sur le pouce et de traverser tout Manhattan pour être à l’heure.

Dans la voiture, je suis un peu tendu, à deux doigts de me dire, bon c’est rigolo sur le papier, tant que c’est virtuel ça va, et puis une fois au pied du mur ouh, là là ! Machine arrière, toute ! Oui, je flippe ! Coincé dans les embouteillages, je ne peux pas faire demi-tour, alors les dés sont jetés, trouille ou pas trouille, je dois aller à mon rendez-vous. Je m’efforce de me concentrer sur une idée : je sonne à leur porte, c’est elle qui ouvre, je lui dis qu’elle est encore plus belle en réalité que sur les photos.

J’arrive dans leur quartier et trouve facilement la rue de mes hôtes. Je suis devant leur immeuble à l’heure dite, et pense tout de suite à une farce. Il devait y avoir un interphone, il y a un digicode. J’attends cinq minutes sur le trottoir en scrutant à toutes les fenêtres, rien. J’appelle sur le portable de Justin, pas de réponse. Déjà que je me sentais dans mes petits souliers, là je me dis, on plie les gaules et on rentre à la maison. Cette nana en photo, c’était forcément du bidon, dès ma première sortie libertine je n’allais quand même pas me taper une fille mieux faite que celle qui fait la pub pour les sous-vêtements Aubade !

J’ai mis une heure pour venir jusqu’ici je peux bien attendre encore dix minutes. Je pense à mon idée fixe : je sonne à leur porte, c’est elle qui ouvre, je lui dis qu’elle est encore plus belle en réalité que sur les photos. J’essaie de rappeler, personne ne décroche. Oui, c’était une annonce fantaisiste, mais quel con je fais ! Je me dis qu’à force de guetter quelqu’un va appeler les flics, croyant à un rôdeur, alors tant pis, je vais rentrer. Mais non, au bout de vingt minutes, mon portable sonne, c’est Justin. Il est désolé, son portable ne fonctionne pas correctement. Il m’indique le code permettant de rentrer dans l’immeuble, je me concentre sur mon idée fixe : je sonne à leur porte, c’est elle qui ouvre, je lui dis qu’elle est encore plus belle en réalité que sur les photos. Je monte dans l’ascenseur, la bouteille de champagne à la main me donne une contenance, attention dans moins d’une minute je serai face à elle. Dring ! La porte s’ouvre, je m’apprête à lui dire qu’elle est belle quand je me rends compte que c’est un homme en fauteuil roulant, Justin, qui m’ouvre, et il n’y a personne derrière lui !

Je suis li-vi-de. Rien dans le pantalon. J’ai envie de rentrer chez moi en courant. « Tu la verras tout à l’heure » me dit-il, comme s’il sentait que je n’étais pas dans mon assiette. Je lui donne la bouteille de champagne et l’enveloppe contenant l’argent. L’appartement est décoré simplement, sans goût, sans grosses fautes de goût non plus. Dans le salon s’exprime sa passion d’ancien pilote de voitures de courses et ancien plus important vendeur de belles italiennes en France (le fauteuil, d’ailleurs, fait suite à un accident) : on ne remarque qu’une chose, accrochée au mur : l’immense photo d’une Ferrari on ne peut plus rouge. Il me fait asseoir à une place bien précise, dans un fauteuil en cuir (il possède aussi un magasin de literie-ameublement). Visiblement, il a le film de la soirée en tête ; il m’explique qu’elle arrivera dans quelques minutes (j’ai presque envie de lui répondre « s’il faut que tu attendes que je bande on y est encore demain matin »), qu’elle me posera quelques questions et qu’ensuite la soirée commencera vraiment. Il ouvre le champagne et on discute de tout et de rien (plutôt de rien d’ailleurs). Je trouve ces minutes interminables, je n’ai quand même pas fait tout ce chemin pour tenir compagnie à un paralysé branché voiture ! (…)